19 juillet 2018, Yaoundé- Le risque énorme que représente le chômage des jeunes pour la stabilité de l'Afrique a de nouveau été au centre de la 27e Session du Conseil des gouverneurs de la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF) qui s'est ouverte aujourd'hui dans la capitale camerounaise, Yaoundé.
Depuis un certain temps, l'ACBF sonne le tocsin au sujet de la manière façon dont l'effroyable problème de chômage des jeunes en Afrique est devenu une bombe prête à exploser, et la Fondation exhorte les pays africains et leurs dirigeants à assurer un leadership visionnaire et transformateur pour empêcher l'explosion de cette bombe.
Ce thème a de nouveau été au centre de la 27e Session du Conseil des gouverneurs aujourd'hui. En effet, tous les principaux conférenciers s'y sont penchés. Il convient de rappeler que le thème de cette réunion de deux jours est « L'emploi des jeunes en Afrique: cibler le développement des compétences essentielles ».
Une fois encore, le professeur Emmanuel Nnadozie, Secrétaire exécutif de l'ACBF, a donné le ton. Selon lui, « les conditions économiques instables sous lesquelles ploient les jeunes en Afrique sont aujourd'hui étayées par des données probantes. Il ressort d’une publication de la BAD intitulée «L’Emplois des jeunes en Afrique», que sur les 420 millions environ de jeunes Africains âgés de 15 à 35 ans, un tiers est au chômage et découragé, tandis qu'un autre tiers est employé dans des conditions qui le rendent vulnérable. Cette situation s’explique en grande partie par l’inadéquation entre les compétences et les exigences du marché du travail. Il s’agit là en effet d’un paradoxe, dans la mesure où le continent est actuellement confronté à de graves pénuries de compétences techniques essentielles.
«Selon une étude que nous avons menée en 2016 sur les besoins en capacités pour la mise en œuvre de la première décennie de l'Agenda 2063, l'Afrique compte environ 55.000 ingénieurs contre des besoins estimés à 4,3 millions. Dans le même ordre d’idées, le continent ne comptait que 80.000 scientifiques agricoles alors qu'il en avait besoin d'environ 150.000. Ces chiffres montrent que, bien que l'Afrique investisse dans l'éducation, l’épineuse question qui se pose est celle de savoir si la portée et la qualité de cette éducation sont suffisantes pour résoudre les problèmes auxquels le continent est confronté.
Le printemps arabe pourrait ressembler à une partie de plaisir
De l'avis de M. Erastus Mwencha, Président du Conseil d'administration de l'ACBF, la réponse à « l'épineuse question » est simple. « Il existe une inadéquation entre l'enseignement supérieur et les besoins du marché du travail en Afrique. Ce qui nécessite une politique soutenue, en particulier en ce qui concerne la conception programmatique et les interventions efficaces », a-t-il déclaré.
Il a ajouté que « La plupart des gouvernements africains ont commencé à reconnaître qu'il se pose le problème de chômage des jeunes, et que la stabilité du continent dépendra en grande partie de la façon dont nous réagissons face à cette pression. Vous avez vu ce qui s'est passé pendant le printemps arabe; quand viendra le tour de l'Afrique, le printemps arabe ressemblera à une partie de plaisir, car les jeunes du continent ne continueront pas d'attendre indéfiniment.
« Par conséquent, je suis sûr que « les gouvernements alertes, vont essayer de réagir, et nous [à l'ACBF] ne sommes pas là pour prescrire des solutions ou lancer des ultimatums et imposer des délais, dans la mesure où l'Afrique n'a pas besoin de répondre par un mécanisme d'alerte, mais de manière systématique et en toute quiétude. Et c'est de là que nous venons à l'ACBF. »
Prenant la parole dans le cadre de cette la discussion, M. Alamine Ousmane Mey, ministre camerounais de l'Economie, de la Planification et du Développement régional, et Vice-président du Conseil des Gouverneurs de l'ACBF, a déclaré que la question de l'emploi des jeunes en Afrique restait un défi majeur pour le continent, en particulier s'il entend atteindre les objectifs fixés dans l'Agenda 2063 de l'Union africaine, et bien avant, les Objectifs de développement durable des Nations unies de 2030.
« Les jeunes constituent une richesse et non un fardeau. Les jeunes constituent une opportunité et non une menace. Les jeunes sont une source d'innovation et de pouvoir transformateur et créatif. Les jeunes constituent un dividende démographique pour notre continent. Nous devons prendre en compte tous ces facteurs dans la transformation de nos économies pour l'amélioration des conditions de vie de nos populations. »
Plus de questions que de réponses
Intervenant dans le débat, l'Hon Gondwe Goodall, Président de la plus haute instance dirigeante de l'ACBF, le Conseil des gouverneurs, et ministre des Finances du Malawi, a souligné la manière dont l'ACBF contribue au discours sur le chômage des jeunes.
Dans un discours prononcé en son nom parce qu'en raison des problèmes urgents de dernière minute au Malawi, il n'a pas pu assister à la réunion de cette année, l'Hon Gondwe a rappelé aux participants une importante étude menée par l'ACBF en 2015, intitulée Compétences techniques essentielles pour l'Afrique: Dimensions des capacités clés nécessaires pour les 10 premières années de l'Agenda 2063.
« Cette étude attire notre attention sur l'importance du déficit de compétences auquel l'Afrique est actuellement confrontée », a expliqué M. Gondwe. «La Décennie de la jeunesse africaine (2009-2018) touche à sa fin. De nombreux pays africains ont enregistré des taux de croissance économique élevés qui, malheureusement, ne se sont pas traduits en opportunités d'emploi tangibles pour nos jeunes. Le chômage des jeunes reste donc un défi majeur pour le développement de nombreux pays.
« A cet égard, en dépit des efforts concertés déployés, il semble que nous n'ayons pas encore enregistré de réalisations significatives qui pourraient nous permettre de célébrer la « Décennie de la jeunesse africaine ». Le temps presse. Nous devons agir en connaissance de cause pour assurer la bonne mise en œuvre des programmes de développement qui créeront des possibilités d'emploi diversifiées et accessibles pour les jeunes.
Selon lui, les principales questions qui restent à poser sont les suivantes: « Pourquoi ne réalisons-nous pas les progrès prévus? Disposons-nous des options politiques efficaces? Ce manquement s’explique-t-il par une base de compétences inadéquate? Existe-t-il un manque de demande de travail, ou s’agit-il de la rigidité du travail? »
Selon l'Hon Gondwe, pour se développer, l'Afrique doit avoir une clarté conceptuelle sur les défis à relever afin de pouvoir concevoir des solutions appropriées adaptées à ses différents contextes.
Il a donc invité l'assemblée (qui réunit les parties prenantes du gouvernement, du secteur privé, des organisations des jeunes, des partenaires au développement et de la société civile) à réfléchir profondément sur les problèmes spécifiques des pays et à explorer les opportunités de partage d'expériences entre les pays et les régions.
Invitant les pays africains à réfléchir sur les compétences techniques essentielles nécessaires à la bonne exécution des programmes et projets phares dans le cadre de la mise en œuvre du premier plan décennal de l'Agenda 2063 et de l'Agenda 2030 des Nations unies, l'Hon Gondwe a dit avoir « quelques suggestions à faire »:
« Quelles sont les capacités spécifiques et les compétences techniques essentielles nécessaires pour améliorer les opportunités d'emploi des jeunes? » demanda-t-il. « Comment les pays africains et les différentes parties prenantes peuvent-ils tirer parti de l'expertise des universités, des think tanks et du secteur privé pour acquérir les compétences techniques nécessaires? Quelles sont les initiatives existantes dans nos pays respectifs, visant à développer les compétences essentielles nécessaires? Que pouvons-nous apprendre les uns des autres en ce qui concerne le renforcement efficace des capacités en vue de mieux soutenir le développement des compétences? »
Il était évident qu'il existait plus de questions que de réponses, une situation que le professeur Nnadozie a tenté d'atténuer en disant que: «Pour notre part, nous croyons avoir apporté notre pierre à l'édifice[en tant que ACBF] et nous continuerons à faire davantage.
Réalisations
Revenant sur la performance de la Fondation en 2017, la Secrétaire exécutive a déclaré: «Dans l'ensemble, au cours de la période de financement supplémentaire de la Banque mondiale, période 2014-2017, l'ACBF a atteint ses objectifs de développement de programme (ODP) et ses performances ont fait l’objet d’évaluation crédible.
« Pendant cette période, les résultats escomptés de la Fondation ont été réalisés. En effet, tous les indicateurs de niveau 4 (PDO) ainsi que tous les 12 résultats intermédiaires (IRI) ont été atteints ou dépassés. »
En outre, a-t-il ajouté, « la Fondation a réalisé des résultats remarquables à travers le continent. A titre d’exemple, l'ACBF a apporté son soutien à la recherche et à l'analyse de politiques qui ont abouti à des résultats palpables en matière de prestation de services au Rwanda, à la prévention des violences électorales au Ghana, à l'élaboration de politiques économiques basées sur des données probantes au Kenya et à la mobilisation des ressources intérieures en Ethiopie. »
Parmi les autres réalisations, il faut citer, le renforcement des capacités de gestion du secteur public en vue d’améliorer la prestation des services publics en Afrique de l'Ouest; l’amélioration des systèmes financiers par le renforcement des capacités bancaires et financières en Afrique australe et en Afrique de l’Ouest et la promotion des compétences essentielles en science et technologie au Burkina Faso, au Nigeria et en Tanzanie, auxquelles ont recouru les sous-régions.
L'ACBF a aussi appuyé l'intégration régionale en Afrique. Les deux exemples concrets de réalisations sont : la consolidation de l'efficacité des institutions du secteur financier de la région de l'IGAD à travers le soutien à l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et la création de l'unité de recherche du COMESA.
L'ACBF a aussi enregistré des succès dans la promotion des connaissances et de l'apprentissage en Afrique en aidant l'UA à identifier les capacités nécessaires pour la bonne mise en œuvre de l'Agenda 2063 ainsi que des stratégies pour les renforcer.
La Fondation a également soutenu le développement et le partage de données améliorées et de preuves empiriques sur le renforcement des capacités pour une prise de décision éclairée dans le cadre du Rapport sur les capacités en Afrique de l'ACBF.
Nos réalisations comprennent aussi la création du Sommet phare des think tanks africains pour l'apprentissage par les pairs et le partage des solutions innovantes, en vue de soutenir le programme de développement de l'Afrique ainsi que la gestion du courtage de connaissances amélioré sur la gestion axée sur les résultats de développement (GRD), à travers une communauté de pratiques, qui a permis de faire avancer les processus de développement nationaux et régionaux », a déclaré le professeur Nnadozie.
Il a exprimé sa sincère gratitude à tous les Etats membres et aux partenaires de l'ACBF, en particulier le Groupe de la Banque africaine de développement, le PNUD, l’Afreximbank, la BADEA et le Groupe de la Banque mondiale pour leur formidable soutien à la Fondation qui lui a permis de s’investir en faveur de l'Afrique.
Appui
Dans le même ordre d'idées, M. Mwenchaa déclaré que les initiatives entreprises par l'ACBF en Afrique constituent une illustration de sa pertinence continue comme interlocuteur crédible en matière de résolution des problèmes de capacité. Il a donc invité les gouvernements et les acteurs non étatiques à travailler en synergie pour combler les lacunes en matière de capacités relatives à l'emploi des jeunes en Afrique.
« La bonne résolution du problème de chômage des jeunes nécessite des efforts cohérents et une approche multipartite », a déclaré M. Mwencha. « Nous avons tous le devoir de comprendre la nature et l'ampleur du problème et de jouer notre rôle dans la résolution du problème. Il pourrait s'agir du partage des meilleures pratiques relatives à l'élaboration de politiques, des interventions stratégiques et la détermination des principales priorités en vue de relever le défi du chômage en Afrique. »
M. Mwenchaa ajouté que: «Plus que jamais, l'Afrique a besoin de voir l'ACBF non seulement continuer à jouer son rôle actuel de coordination du renforcement des capacités, mais aussi à intensifier les efforts pour lever efficacement les obstacles au développement et mieux appuyer les interventions de développement des compétences. »
La Fondation est bien placée pour jouer ce rôle en Afrique, étant donné qu'elle a accumulé une immense expérience et de solides connaissances sur le renforcement des capacités.
Pour cette raison, M. Mwenchaa invité les partenaires au développement à continuer de soutenir la Fondation pour lui permettre de continuer à prester des services dont ses pays membres ont tant besoin.
Il a adressé ses remerciements aux gouvernements africains pour leurs contributions financières accrues en faveur de la Fondation. Ces importantes contributions sont selon lui, la preuve d'une forte appropriation continentale de l'organisation.
« Cependant, » a-t-il déclaré, « la tâche à accomplir exige des ressources encore plus importantes et un niveau accru de soutien politique et financier. Ensemble, continuons à bâtir l'Afrique que nous voulons, une Afrique capable de réaliser son propre développement », a-t-il ajouté.