La guerre russo-ukrainienne est un conflit qui se déroule à des milliers de kilomètres de l’Afrique, mais son impact se fait sentir dans de nombreux foyers à travers le continent.
De nombreuses économies africaines subissaient déjà l’impact de la flambée des prix internationaux des aliments, du carburant et des engrais, ainsi que celui de la COVID-19 et les conditions météorologiques imprévisibles. La guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie qui ont suivi, sont en train d’étouffer la production et le commerce des aliments, provoquant des pénuries et des hausses de prix à l'échelle mondiale.
En Afrique, l'impact a été immédiat. Selon la Banque africaine de développement (BAD), le continent fait désormais face à une pénurie d'au moins 30 millions de tonnes métriques de nourriture, en particulier de blé, de maïs et de soja importés de Russie et d'Ukraine.
En juin, le Programme alimentaire mondial (PAM) a annoncé qu'il réduisait l'aide alimentaire à 1,7 million de personnes menacées de famine au Soudan du Sud. L'aide diminue de manière drastique, à un moment où les prix des denrées alimentaires augmentent, ce qui rend plus difficiles les efforts du PAM à fournir de la nourriture. En 2021, l'Ukraine était l’unique grande source d’approvisionnement en nourriture pour le PAM.
Au Nigeria, un sac de farine qui coûtait l'équivalent de 37 dollars américains en 2020 est passé à 60 dollars américains après le début du conflit. L'augmentation a été encore pire au Soudan, où les prix du blé ont grimpé de 180 % par rapport à 2021.
Ces données ne sont pas de simples chiffres et statistiques. Elles dépeignent le tableau désastreux de l'état des moyens de subsistance de nombreuses personnes en Afrique. Elles sont également un signal d'alarme pour l'Afrique, un appel urgent à prendre des mesures plus concrètes pour s'affranchir de la dépendance de l'aide alimentaire et des aliments importés, et à construire des économies résilientes et autosuffisantes sur le plan alimentaire.
La Russie et l'Ukraine produisent ensemble 30 % du volume mondial de blé. La moitié des importations de blé de l'Afrique provient de Russie et d'Ukraine. Rien qu'en 2020, le blé constituait 90 % des 4 milliards de dollars d'exportations de la Russie vers l'Afrique. Pour l'Ukraine, sur ses 3 milliards de dollars d'exportations vers l'Afrique, le blé représentait 48 % et le maïs 31 %.
Avec une telle dépendance vis-à-vis des deux pays, une crise prolongée constitue un risque sérieux pour la sécurité alimentaire en Afrique. Il est donc important d'accélérer les efforts visant à renforcer la capacité de l'Afrique à produire sa propre nourriture
Suite à la crise mondiale de 2007-2008, les gouvernements africains se sont engagés à se concentrer sur le renforcement des capacités des réseaux de producteurs locaux. Voici venu le moment de traduire cet engagement en action.
À travers ses réseaux partenaires, la Fondation pour le Renforcement des Capacités en Afrique (ACBF), a déjà travaillé sur divers programmes d’appui aux secteurs agricoles africains, en vue de s'assurer que l'Afrique va réduire sa dépendance en besoins alimentaires vis-à-vis des autres continents.
Par le passé, l’ACBF a déjà, dans ses travaux, relevé la demande d’autosuffisance alimentaire sur le continent.
En 2014, l'ACBF a évalué les priorités de renforcement des capacités de diverses communautés économiques régionales en Afrique. Concernant le besoin de renforcement des capacités individuelles, 75 % des personnes interrogées ont déclaré en avoir besoin dans les domaines de l'agriculture et de la sécurité alimentaire, de l'industrie et du commerce.
Le conflit Ukraine-Russie doit donc être un tournant dans les efforts de l'Afrique pour assurer sa sécurité alimentaire. Le travail de l'ACBF dans le renforcement des capacités des réseaux agricoles africains, des agriculteurs jusqu’aux marchés, est maintenant encore plus essentiel que jamais.
En tant qu'agence spécialisée de l'Union africaine pour le renforcement des capacités, l'ACBF est un dépositaire des connaissances dont le continent a besoin pour travailler en vue de son autosuffisance alimentaire.
En collaboration avec les États membres, les institutions africaines, les communautés économiques régionales et nos partenaires, l'ACBF a identifié des domaines de coopération dans le but de construire un écosystème alimentaire africain plus résilient.
Le premier domaine est celui de la législation. L'ACBF a, à travers son travail avec des gouvernements comme celui du Sénégal, démontré sa capacité à aider les États membres à améliorer la qualité de la législation. Pour soutenir les chaînes d'approvisionnement locales, il faudra revoir les lois dans divers pays. Selon les producteurs alimentaires du continent, on peut réorganiser les systèmes fiscaux pour les rendre plus favorables aux producteurs et transformateurs locaux.
Le renforcement des capacités humaines et institutionnelles est l'un des principaux succès de l'ACBF.
Étant donné que plus 60 % de la population de l'Afrique subsaharienne sont de petits exploitants agricoles qui n'ont pas les ressources nécessaires pour atteindre leur plein potentiel, mais contribuent jusqu'à 70 % de l'approvisionnement alimentaire, le renforcement de leurs capacités augmentera la production alimentaire sur le continent.
En mai 2022, les partenaires de l'ACBF et le Groupe de la Banque africaine de développement (BAD), ont annoncé une facilité de 1,5 milliard de dollars américains pour stimuler l'approvisionnement alimentaire de l'Afrique en aidant les agriculteurs africains à accéder à des semences et des intrants de haute qualité. Dans le cadre de la Facilité africaine de production alimentaire d'urgence, 20 millions de petits exploitants agricoles africains auront accès à des semences et des engrais certifiés.
Cela rejoint le travail que la Fondation mène pour s'assurer que cet appui est ciblé et parvient aux agriculteurs qui en ont le plus besoin.
Une mesure clé du succès de l'Afrique dans ses efforts à devenir autonome sera le succès du commerce intra-africain, qui réduira la dépendance vis-à-vis des chaînes d'approvisionnement alimentaire étrangères. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est le cadre de cette ambition. En offrant une formation professionnelle et un appui aux réformes législatives, l'ACBF renforce les capacités des blocs économiques régionaux tels que le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) et des gouvernements pour assurer, de manière ultime, le succès de la ZLECAf.
Dans le cadre de son appui au secteur agricole, l'ACBF a fourni des subventions de démarrage à des coopératives agricoles de femmes au Liberia, au Malawi et au Rwanda. Dans chacun de ces pays, des groupes de femmes ont reçu une aide de démarrage pouvant atteindre 5 000 dollars américains afin d’accroître l'accès aux capitaux indispensables pour stimuler leurs entreprises agricoles collectives et les développer.
En Éthiopie, la Fondation a travaillé avec l'Institut éthiopien de recherche sur le développement pour établir l'Ethiopian Commodity Exchange (ECX) qui a mis en place un marché organisé, où acheteurs et vendeurs se retrouvent pour des échanges commerciaux, avec l’assurance sur la qualité, la quantité, le paiement et la livraison.
Ceci a aidé les petits exploitants agricoles à tirer un grand profit de leur travail acharné, car ils pouvaient désormais accéder aux marchés et obtenir une valeur marchande réelle pour leurs produits alors que les agents intermédiaires ne leur payaient pour cela que 10 % de la valeur marchande réelle.
Ces projets ont fourni un modèle qui peut être utilisé pour garantir que l'Afrique sécurise son approvisionnement alimentaire en renforçant ses capacités à partir de la base.
En tant qu'agence spécialisée de l'Union africaine pour le renforcement des capacités, l'ACBF est bien placée pour jouer un rôle important dans le renforcement des capacités des agriculteurs en Afrique afin d'assurer leur autosuffisance alimentaire plutôt que de dépendre de l'aide alimentaire et des aliments importés.